Le 15 janvier 2024, j’ai soutenu à l’université Paris Nanterre mon habilitation à diriger des recherches, avec pour garant Matthieu Letourneux, et devant un jury composé de Raphaël Baroni, Irène Langlet, Françoise Lavocat, Michel Murat, Dominique Rabaté et Marie-Éve Thérenty. Je leur redis ici toute ma gratitude pour leur lecture de mon dossier, ainsi que pour leurs remarques et critiques constructives.
Je reprends ici de brefs éléments de mon discours afin de situer ma démarche.
Le titre du dossier est
Mondes à construire, personnages à aimer. Stratégies d’implication affective et cognitive dans la fiction romanesque (XXe-XXIe siècles)
Il désigne un projet d’ensemble, associant deux approches complémentaires pour interroger ce qui donne vie et substance aux mondes et personnages de la fiction romanesque. Il correspond aussi à une trajectoire personnelle.
La pierre angulaire de ce que j’ai tâché d’édifier est l’étude de la littérature de science-fiction. Il faut lire dans ce titre l’approfondissement d’une ambition née avec mes premiers travaux de recherche : prendre appui sur l’étude de la science-fiction pour avancer des propositions qui vaillent pour toutes les fictions romanesques des XXe et XXIe siècles.
Mon manuscrit inédit a pour titre :
Personae fictionnelles. Un principe de plaisir
En étudiant l’agentivité positive ou négative prêtée aux personnages, j’ai entrepris de cerner en quoi elle produit une saveur particulière, capable à elle seule de construire un intérêt pour une fiction, tout en restant susceptible d’être associée à d’autres procédés de production de l’intérêt, en particulier les mécanismes de l’identification aux personnages.
Le projet défendu et illustré par mon manuscrit inédit est double.
D’une part, pour me donner les moyens d’aborder ensemble littératures de genres – science-fiction, fantasy, roman policier – et littérature générale, je dois d’abord établir le principe même d’une approche des textes de fiction qui mette l’accent sur la puissance et la souffrance des personnages.
Pour cela, je confronte mes propositions à celle de Vincent Jouve, de Hans Robert Jauss, ou encore de Murray Smith, à partir d’une approche intégrant différents types de fictions et de genres, depuis l’épopée et la tragédie jusqu’aux bandes dessinées et au cinéma, même ma réflexion est centrée autour du roman français. Je tâche ce faisant de mettre en place les fondements théoriques et méthodologiques d’une analyse des personnages sous l’angle de leurs personae, pour rendre compte de la complexité des alchimies émotionnelles possibles.
D’autre part, pour vérifier la productivité d’une telle approche, je la soumets dans une seconde partie à une mise à l’épreuve, en la confrontant à un corpus d’œuvres romanesques contemporaines, où puissent se marquer des dynamiques communes à la littérature générale, représentée ici avant tout par Marie NDiaye, Michel Houellebecq et Jean Echenoz, et aux littératures de genres : pour le roman policier, des œuvres de Dominique Manotti et de DOA ; pour la fantasy, des récits de Manon Fargetton, Estelle Faye et Jean-Philippe Jaworski ; pour la science-fiction, des romans de L. L. Kloetzer, Alain Damasio, Laurent Genefort, ou encore Roland C. Wagner.
Par l’analyse de détail, je caractérise plus finement des stratégies spécifiques de personae à l’échelle d’une scène ou d’un récit entier, qui jouent de manifestations de puissance ou de vulnérabilité variables. Impliquant de considérer les personnages comme des éléments d’un système dynamique de confrontations et de soutiens, l’approche en termes de personae permet de mieux cerner des phénomènes de co-construction de l’intérêt à partir de plusieurs personnages. Ces personnages peuvent être associés dans des duos constitués de partenaires ou d’adversaires à envisager ensemble. Ils peuvent construire des logiques de groupes, déterminant un attachement distribué entre plusieurs figures. Ils peuvent également dessiner des catégories ontologiques, des classes de personnages qui inscrivent dans la réalité même du monde certaines possibilités d’action ou de passion.
J’espère ainsi avoir établi en quoi se concentrer sur les mécanismes spécifiques de la persona fictionnelle est susceptible d’enrichir les approches contemporaines du personnage, mais aussi en quoi la prise en compte des littératures de genre, et singulièrement de la science-fiction, se révèle féconde, voire indispensable, pour l’analyse des ressorts affectifs du roman, et au-delà de la fiction.